Voici ce que décrivent les personnes souffrant de très grandes peurs… (Christophe André)

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D’abord, les peurs qui tournent très vite à la panique, et la peur de la peur : « je fais tout pour ne pas me trouver en situation inquiétante, car si ma peur démarre, je sais que je ne pourrai rien faire pour la freiner ».

 

Ensuite, l’auto-allumage des peurs, qui peuvent se déclencher toutes seules ou presque, à partir de rien ou de presque rien : une pensée, un regard ou un silence, un battement de cœur plus fort que les autres, un réveil en pleine nuit… Nous verrons que le système nerveux sympathique des patients phobiques est toujours à un niveau de fonctionnement trop élevé (en langage courant, ils sont toujours « sous tension »), ce qui explique ces embrasements, comme des éclairs de chaleur en plein été à la suite de journées caniculaires.

 

Enfin, le retour de la peur : la phobie a la mémoire longue. Même lorsqu’on aura fait des progrès, affronté victorieusement ses craintes, changé son regard sur le monde (moins de scénarios catastrophes), la peur peut toujours faire un come-back, comme une vieille vedette de la chanson que plus personne n’a pourtant envie d’écouter… C’est qu’en réalité, notre cerveau n’oublie jamais ses peurs, et les garde archivées, en sommeil. Il peut donc suffire, alors qu’on avait vaincu ces peurs, d’une confrontation à une situation autrefois paniquante, ajoutée à une baisse de forme, pour qu’une onde de peur revienne. Cela peut décourager les plus fragiles : « tous ces efforts pour rien »… Mais en réalité, ces retours de la peur sont tout à fait contrôlables par les patients qui en ont été avisés, et surtout ceux qui en ont guéri par thérapie comportementale : ils savent parfaitement quoi faire pour en limiter l’extension, et les faire revenir dans l’ombre, si d’aventure les vieux réflexes émotionnels pointaient à nouveau le bout de leur nez.

   

Un de mes patients m’avait un jour proposé la comparaison suivante : « Je suis aujourd’hui avec mes peurs comme un dompteur dans la cage aux fauves. Je continue de me méfier, mais c’est moi qui commande. Je ne passerais pas ma vie dans la cage, mais toutes les fois où je dois m’y rendre, je sais que je peux le faire. Et parfois, parfois seulement, j’avoue que dominer ma peur dans ces circonstances me procure un petit plaisir… »

  

La lutte contre les peurs phobiques obéit assez bien aux principes de la philosophie stoïcienne et de sa célèbre prière : « Donne-moi le courage de changer ce que je peux changer, la force de supporter ce que je ne peux pas changer, et l’intelligence de faire la différence entre les deux ».

 

Du courage, il en faut aux personnes phobiques, d’autant plus que les peurs contre lesquelles elles luttent sont invisibles aux yeux d’autrui. Personne, en dehors de leurs proches ou de leur thérapeute, ne les admirera à leur juste valeur. Elles mèneront leur combat dans l’ombre.

 

Elles auront aussi besoin de force d’âme, pour accepter les difficultés rencontrées en chemin, les échecs – même transitoires. La peur est un adversaire coriace, et il ne suffit pas de décider de lutter contre elle, et de le faire, pour que la partie soit facile. Les progrès se font en général en dents de scie plus que de manière linéaire. Ce n’est pas une bataille qu’il faut gagner, mais une guerre.

 

Elles devront faire preuve de ténacité, car nous avons vu que le travail de pacification émotionnelle qu’elles avaient à conduire était long : il ne s’agit rien de moins que de reconfigurer son fonctionnement cérébral, et de plus dans des zones particulièrement peu accessibles à notre volonté.

 

Il leur faudra enfin du discernement, afin que leurs efforts pour se confronter ne soient pas des violences faites à elles-mêmes : nous verrons qu’il faut se stimuler et s’encourager, et non se harceler ou se réprimander. C’est un mélange subtil d’exigence envers soi-même et de tolérance qui va s’avérer le plus efficace.

 

En la matière, c’est souvent le thérapeute qui montre la voie, en stimulant son patient, sans jamais oublier que ce qu’il fait est difficile. Lorsque je pousse mes patients phobiques à affronter des situations qui les angoissent, il m’arrive d’avoir parfois des scrupules, car je vois bien que je leur fais passer un sale moment, et que finalement nous serions bien plus tranquilles à discuter de leur enfance dans mon bureau qu’à nous balader dans le métro, à courir après des pigeons ou à demander notre chemin à tous les passants dans la rue.

 

Mais lorsqu’en fin de thérapie je leur demande ce qui les a le plus aidés, tous, sans exception, me répondent : que vous m’ayez poussé à affronter mes peurs…